L’ANSES répond au
mouvement des Coquelicots. Dans un courrier électronique daté du 9 décembre –
on le trouvera dessous ce texte – la direction de l’Agence chargée de la
sécurité sanitaire entend s’expliquer sur le dossier des SDHI. De nombreux
Coquelicots de France et de Navarre ont en effet adressé des lettres exprimant
désarroi et colère à propos de ces pesticides que nous tenons pour des poisons
publics.
Le premier
commentaire sera une hypothèse formulée par l’un de nos petits doigts. Un
ministère de tutelle aurait recommandé à l’ANSES d’enfin répondre à une demande
formulée par une grande association française, forte d’un million de soutiens.
Mieux vaut tard que jamais.
Pour le reste, nous
sommes assez stupéfaits par le texte lui-même, qu’il ne sera pas trop difficile
de décortiquer. Pour commencer, difficile de ne pas appeler mensonge une
affirmation aussi déconcertante. Lorsque l’Anses écrit, en gras qui plus est,
« Il n’y a pas d’alerte sanitaire », il faut se pincer pour y
croire. Le 19 novembre 2019, la
Commission nationale déontologie et alertes en santé publique et environnement
(CnDAPse) –
agence indépendante créée par la loi du 16 avril 2013 – écrivait en toutes
lettres : « La
CNDASPE a informé les ministres chargés de l’Environnement, de la Santé, de la
Recherche, de l’Agriculture, des Sports que le signalement reçu sur les dangers
des SDHI est constitutif d’une alerte ».
Il faudra donc
croire, mais ce sera difficile, que l’ANSES, héritière via l’AFSSA et l’AFSSET
de tant de conflits d’intérêt, est mieux qualifiée que personne pour
reconnaître l’existence d’une alerte de santé publique. Pour nous, cette
dernière est flagrante, et nous tenons nous aussi au gras dans le texte.
Sans surprise, l’ANSES entreprend ensuite, mais en vain, de disqualifier la très solide étude de Bénit et Rustin, publiée dans la revue scientifique PlosOne le 7 novembre dernier (http://endsdhi.com/wp-content/uploads/2019/11/2019-Benit-et-al-version-fran%C3%A7aise-PlosOne-19.pdf). Passons sur la fantaisie qui consiste à tenir des études in vitro en quantité négligeable. Faut-il rappeler que l’homologation officielle des pesticides repose justement sur ce genre de travaux ?
Mais il y a pis.
A-t-on bien lu PlosOne ? L’essentiel du travail des chercheurs
établit une vérité qui dérange : les SDHI ne sont nullement spécifiques.
S’ils prétendent viser les champignons pathogènes, ils ciblent également les
cellules de vers de terre, d’abeilles, et d’humains, précisément. Et
compte-tenu de leur mécanisme d’action – l’inhibition de la SDH -, ils menacent
en fait tout le vivant. Conseillons aimablement à l’ANSES de retourner à
l’article scientifique.
La suite n’est pas plus réjouissante. L’ANSES feint d’ignorer une faute morale et scientifique dont elle est pourtant l’auteur. Elle entend retourner contre ceux qui en parlent – le mouvement des Coquelicots, l’équipe Rustin, madame Delphine Batho, députée – une précieuse étude parue en 2012 (http://endsdhi.com/wp-content/uploads/2019/09/graillot2012.pdf), qui montre la génotoxicité d’un des principaux SDHI, le bixafen. Il faut un certain culot pour écrire que cette étude « n’est pas plus concluante [que celle de PlosOne] en ce qui concerne un impact éventuel sur la santé humaine ». Car non seulement ce travail apporte des preuves scientifiques, mais l’ANSES n’en avait ENCORE JAMAIS PARLÉ. Jamais ! Le meilleur moyen de ne pas être entravé par ce qui gêne, c’est de l’oublier. Dans son si curieux rapport sur les SDHI de janvier 2019, les « experts » de l’ANSES omettent ce travail remarquable. De même qu’il est laissé dans les oubliettes un travail solide de 1976, Carboxins : powerful selective inhibitors of succinate oxidation in animal tissues. Les carboxines, précurseurs des SDHI d’après 2013, y sont pointées comme toxiques pour les mammifères, dont nous sommes jusqu’à plus ample informé.
La malignité du texte de l’ANSES ne s’arrête pas là, qui écrit, toujours en gras : « l’expérience montre qu’une étude isolée, non confirmée par d’autres approches scientifiques et d’autres publications, ne peut apporter à elle seule un niveau de preuve suffisant ». Eh bien, il n’y a pas bien loin à chercher. Sur un site de haute tenue scientifique (http://endsdhi.com/aller-plus-loin/articles-de-recherche), pas moins de 19 études sont disponibles au format PDF, qui apportent un démenti éclatant aux propos de l’ANSES.
Que reste-t-il de la réponse ? Trois fois rien. L’Agence estime
avoir fait son travail en réunissant un groupe de quatre « experts »,
dont trois ne connaissaient pas le sujet et dont le dernier était dans une
situation de grave conflit d’intérêt. Elle a refusé la présence dans ce groupe
de Pierre Rustin, spécialiste mondial des maladies mitochondriales, porteur de
connaissances uniques. Bien entendu, l’ANSES ne s’explique aucunement sur le
silence de six mois – entre octobre 2017 et avril 2018 – avant de seulement
considérer l’alerte sur les SDHI. Et pas davantage sur l’incroyable réception
de huit chercheurs, dont Benit et Rustin, en juin 2018.
Pour quelle raison l’ANSES s’arc-boute-t-elle sur une position
indéfendable ? Encore deux informations qui alourdissent le dossier. Le tribunal
administratif de Nice vient d’annuler l’Autorisation de mise sur le marché
(AMM) que l’ANSES avait pourtant accordée en 2017 pour deux pesticides, le
Transform et le Closer. Ils étaient censés remplacer les néonicotinoïdes
interdits, mais ils en étaient eux-mêmes ! Or la directrice-adjointe de
l’ANSES – en 2017 -, madame Françoise Weber, avait fait le voyage en avion
jusqu’à Nice pour défendre ces pesticides. Est-ce bien le rôle d’une agence de
protection sanitaire ?
La deuxième information, saisissante, concerne la santé des paysans. Une actualisation de la très officielle AgriCan, étude portant sur 181 842 paysannes et paysans de France, vient de rendre des résultats aussi limpides qu’effrayants. Les éleveurs, à cause du pesticide lindane, ont deux fois plus de risques d’avoir un cancer de la prostate que la population générale. Et développent bien plus de myélomes – +25 % chez les hommes, +22 % chez les femmes – et de lymphomes – +47 % chez les hommes, +55 % chez les femmes. Commentaire du chercheur Pierre Lebailly (Inserm, Centre François Baclesse), interrogé par Ouest-France : « Les agriculteurs développent un risque professionnel de cancers liés à l’utilisation de pesticides. »
Le mouvement des Coquelicots déplore une fois de plus le déni dans lequel s’est enfermée l’ANSES, agence dont nous rappelons qu’elle est publique, payée sur fonds publics, au service de la société et non pas de l’industrie. Nous demandons à sa direction de changer son comportement et de se rendre à l’évidence scientifique : les SDHI sont un danger immédiat pour tout ce qui est vivant.
Le mouvement des Coquelicots, le 9 décembre 2019
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Le courrier de
l’ANSES aux Coquelicots
Madame, Monsieur,
Vous
nous avez écrit pour relayer l’appel des Coquelicots à interdire sans attendre
les SDHI « au nom de la science ».
Nous
le répétons et tenons à vous en assurer : au regard des connaissances
aujourd’hui disponibles, il n’y a pas de raison scientifiquement valable de
craindre un risque sanitaire pour l’Homme et l’environnement, dans les
conditions d’usage autorisées en France pour ces produits.
Il
n’y a pas aujourd’hui d’alerte sanitaire !
Vous pouvez trouver des
informations détaillées concernant les travaux de l’Agence sur le traitement de
l’alerte sur les SDHI en cliquant sur les liens suivants : #SDHI1 #SDHI2
L’Anses
est une agence d’expertise scientifique dont la
mission principale est de vous protéger et de prévenir les risques que nous
rencontrons dans notre vie quotidienne.
Notre
compétence repose sur nos 1000 scientifiques et sur plus de 800
experts scientifiques externes – chercheurs issus des organismes de
recherche et universités françaises, de l’Inserm, du Cnrs, de l’Inra – qui
contribuent à nos travaux d’expertise et s’emploient chaque jour à remplir avec
compétence et indépendance la mission d’intérêt général dont l’Agence a été
investie. Notre financement est assuré et contrôlé par l’Etat.
Vous
évoquez dans vos messages une étude publiée le 7 novembre dernier dans
la revue scientifique PLOS One montrant une toxicité des SDHI sur des
cellules en culture. Comme l’écrivent les auteurs eux-mêmes dans cet article,
il est « extrêmement hasardeux » de comparer les valeurs
obtenues in vitro, dans des conditions de laboratoire, avec
les concentrations de SDHI qui pourraient résulter des applications des
pesticides sur les cultures. L’étude de 2012 que certains d’entre vous
mentionnent n’est pas plus concluante en ce qui concerne un impact éventuel sur
la santé humaine, et ses auteurs n’ont pas apporté d’élément supplémentaire
depuis lors.
De
façon générale, s’il arrive fréquemment qu’une publication scientifique
nouvelle constitue un signal d’alerte pour une agence scientifique comme
l’Anses, l’expérience montre qu’une étude isolée, non confirmée par
d’autres approches scientifiques et d’autres publications, ne peut apporter à
elle seule un niveau de preuve suffisant.
Ceci
nous ramène donc à l’action menée depuis près de 2 ans par l’Anses en réponse au
signalement de Pierre Rustin sur les SDHI, pour tenter de préciser la
validité de l’hypothèse proposée.
Pour
se faire, l’Anses s’est conformée à ses procédures de traitement des alertes :
– constitution
d’un groupe d’expertise collective en urgence constitué de
chercheurs compétents en toxicologie et d’autres sciences utiles, des
scientifiques reconnus, extérieurs à l’agence et issus de la recherche
publique,
– signalement
et échanges avec les autorités sanitaires homologues à l’Anses
au niveau européen,
– examen
de l’ensemble des connaissances scientifiques disponibles sur
la substance, ses mécanismes d’action, sa toxicité, à la fois in
vitro (sur cellules) et in vivo (chez
l’animal),
– examen
des données issues des réseaux de surveillance et de vigilance coordonnés
par l’Anses (tels les centres anti-poisons) pour s’assurer de l’absence de
signal d’un effet sanitaire.
A
l’heure actuelle, aucune alerte sanitaire n’a été donnée sur les SDHI, dans
aucun pays. Toutefois, notre vigilance reste constante et l’Agence a
décidé de continuer ses travaux d’évaluation des risques.
En
suivant les recommandations de son collectif d’experts, l’Agence a
décidé notamment de renforcer le socle de connaissances sur ces fongicides
en mobilisant la communauté scientifique :
– nous
avons octroyé plus d’1 million d’euros au financement de recherches sur
les SDHI,
– nous
avons demandé à l’Inserm, l’Institut national de recherche
médicale, de prendre en compte l’étude de PLOS One et d’autres travaux récents
sur les SDHI dans l’expertise collective que l’Institut mène
actuellement pour actualiser les connaissances sur les effets des pesticides
sur la santé,
– nous
avons renforcé la surveillance d’effets éventuels des
fongicides SDHI chez les agriculteurs et appelé à la vigilance les autorités
sanitaires européennes et nord-américaines,
– nous
nous sommes saisis de la question des expositions cumulées aux
différents fongicides SDHI via l’alimentation, saisine
dont nous publierons les résultats au cours du premier semestre 2020.
Nous espérons que
vous serez ainsi convaincus que l’Anses prête attention à la question
des SDHI, qui fait d’ailleurs partie des sujets qui seront évoqués
dans le cadre de notre plateforme de dialogue sur les produits
phytopharmaceutiques avec les différentes parties intéressées par ce sujet.
Des
associations comme Générations Futures ou France Nature Environnement y
participent, pourquoi pas les Coquelicots ? Que risquez-vous à accepter
notre proposition d’échanger en « live » et en profondeur avec nos
experts des pesticides ?
Sur
le sujet des pesticides, vous serez peut-être intéressés d’apprendre que
l’Agence délivre ou refuse les autorisations de mise sur le marché de ces
produits sur base des études des industriels, mais aussi en tenant compte des
publications scientifiques récentes. Qu’elle est attentive aux signaux de
risques, d’où qu’ils viennent, et qu’elle n’hésite pas à retirer immédiatement
les autorisations dès lors qu’une alerte est fondée, ce qu’elle fait
régulièrement. Que depuis la création de l’Anses en 2010,
le nombre de produits phytopharmaceutiques bénéficiant d’une autorisation en
France a baissé de 40 %.
Si
notre réponse à votre question est longue, c’est que nous sommes attentifs à
vos inquiétudes, que le sujet est complexe et demande de la précision, et que
l’information sur nos actions concernant les SDHI et les pesticides en général
ne semble pas être arrivée jusqu’à vous.
Nous
vous prions d’agréer, Madame, Monsieur, l’assurance nos meilleurs sentiments.
La
direction de l’Anses.